«Plus le temps passe, et plus je n’y comprends plus rien» me dit tel ami et collègue avec lequel (et tant d’autres), nous eûmes à assurer et à assumer — bon gré mal gré — la destinée du journal La Presse, notre quotidien du gagne-pain, durant presque un demi-siècle ! Et justement, les aléas du temps auront fait que nous vivions comme à l’aveuglette, toujours «pressés» et «oppressés» de fournir et d’analyser les infos de quelque secteur de la vie active que ce soit, et de tenter de les analyser en bonne et due forme. D’ailleurs, comme son appellation l’indique si bien, «La Presse» (née en 1936, lors du Front populaire en France) avait vu le jour en réaction contre un autre quotidien qui défendait les intérêts de l’ère coloniale. J’ai nommé «La Dépêche de Tunisie» qui avait des relents de propagande et d’agitation spectaculaire, pour ceux, historiens, qui connaissent l’histoire des médias en Tunisie.
Mais cette affirmation de mon ami et collègue sur «le temps qui passe» n’a, évidemment, aucun rapport avec ce passé plus ou moins scabreux d’une époque donnée et que l’ère de l’indépendance du pays — croyions-nous nous rassurer — allait nous libérer de ce fardeau de la censure, autocensure qui allait continuer d’être plus «implicite» qu’«explicite» à y regarder de plus près.
Ce que veulent dire les propos de mon ami et collègue, c’est que la société tunisienne a toujours vécu en dehors du temps. Vécu, plutôt, dans la durée intérieure que dans le temps matériel.
Quand on regarde de plus près la notion de «temps» telle qu’elle nous est expliquée dans n’importe lequel des dictionnaires, on lit ceci : «temps : milieu indéfini où paraissent se dérouler irréversiblement les existences dans leur changement, les événements et les phénomènes dans leur succession». Et cela veut dire deux choses à la fois, qu’il faut considérer le temps dans sa durée «chronométrée» et dans celle «globale» et qui n’a pas de fin, tellement elle est changeante et remuante et qu’elle pose problème. Un exemple, lorsqu’on souligne à l’infini qu’il devrait encore s’écouler du temps, avant que la chose ne se produise…
La «chose», ici, pour mon ami, comme pour nous tous d’ailleurs, c’est cette pseudo-révolution du printemps arabe, qui nous a déroutés complètement. Une certaine «guerre froide» à l’intérieur de notre société qui nous a comme réveillés en sursaut de cette léthargie profonde avec laquelle nous nous accommodions, tant bien que mal. Avec la découverte surprenante et effroyable que nous n’avions pas/ou plus d’identité, bon gré ou malgré l’Indépendance (la pseudo indépendance) du pays. Nous en sommes là, aujourd’hui, après neuf années de cogitations à tenter de retrouver ou renouer quelques repères que ce soit pour nous identifier à nouveau. Alors que le dieu Chronos, cette machine infernale à dévorer les existences humaines, se fait de plus en plus pressant et oppressant, à travers cette ère de la mondialisation nihiliste et négationniste à plus d’un titre.
Petites réflexions sur le temps qui finit, celui relativisé via Einstein, mis à toutes les sauces, le temps de la mémoire et le temps assimilé au mouvement, c’est bien ce que nous vivons actuellement.
Mais ce n’est pas un phénomène nouveau et il reste à dire d’une part que les géants de l’informatique qui nous poussent de plus en plus vers le virtuel, comme les tendances religieuses (ou pseudo sacrées) vers une éternité non identifiable, sauront s’arranger pour baisser les tensions et ne pas précipiter les choses avant l’heure, car pour eux, le temps, c’est de l’argent seulement «Time is money». Ce sont eux les faux monnayeurs du temps… qu’on se le dise.